PEUT-ON ESPÉRER DAVANTAGE DE JUSTICE SOCIALE SUITE À L’ÉLECTION DU 6 SEPTEMBRE DERNIER ?
I – DES RÉSULTATS INATTENDUS
Après une campagne électorale ayant débuté en mai 2015, les électeurs allèrent aux urnes le 6 septembre pour élire le ou la président-e et le ou la vice-président-e et les 158 députés au Congrès, dont 31 provenant de la « liste nationale » qui assure une certaine répartition proportionnelle des partis. De plus, ils avaient à élire les représentants municipaux de 338 villes et les représentants au Parlement centre-américain.
5 270 489 personnes se sont prévalues de leur droit de vote soit 72 % des électeurs inscrits. Ce taux de participation est considéré comme un des plus importants de l’histoire de ce pays.
Dans la course à la présidence, c’est Jimmy Morales, du Frente de Convergencia Nacional (FCN), très connu comme humoriste mais peu connu en politique, qui a remporté le plus grand nombre de votes avec 1 152 394 votes, suivi de Sandra Torres de l’Union para una Nueva Esperanza (UNE) avec 948 809 et de Manuel Baldizon de Libertad, Democratia Renovada (LIDER) avec 930 909 votes. Comme le président doit obtenir 50 % des votes plus 1 pour l’emporter, un deuxième tour s’est tenu le 25 octobre dernier et c’est Jimmy Morales du FCN qui l’a emporté sur Sandra Torres de l’UNE.
Au Congrès, même si Manuel Baldizon, aspirant à la présidence pour le parti LIDER, n’a pas été élu président, c’est son parti, le LIDER, qui a obtenu le plus de sièges au Congrès avec 37 sièges suivi de l’UNE 28 sièges et du Partido Patriota (PP) 19 sièges.1 Le parti de Jimmy Morales, le Frente de Convergencia Nacional n’a obtenu que 11 sièges. Au niveau des partis de la gauche, la Convergencia CPO-CRD, née des cendres de l’Alianza para una Nueva Nacion (ANN), a obtenu 3 sièges, l’Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca (URNG-Maiz) en a obtenu 2, le Winaq 1 et le Movimiento para une Nueva Republica (MNR) aucun.
Concernant la « méthode de représentation proportionnelle des minorités » dite « del listado nacional » pour l’élection des députés au Congrès2, le LIDER a ainsi obtenu 7 députés, l’UNE 5, le PP et le FCN 3 chacun alors que l’URNG-Winaq (199 257 votes) et la Convergencia (177 365 votes) obtinrent 1 député chacun.
Au niveau municipal, il faut comprendre que les partis politiques se prolongent au niveau municipal et présentent des candidat-e-s pour tous les postes municipaux. C’est aussi le LIDER qui a remporté le plus grand nombre de mairie.
Au lancement de la campagne électorale, tous les sondages donnaient Manuel Baldizon à la présidence et son parti bien en selle pour le Congrès. Que s’est-il passé ?
II – LE CONTEXTE ET LES ÉVÉNEMENTS : LA DÉNONCIATION DE LA CORRUPTION ET LA RÉVOLTE POPULAIRE.
L’élection s’est déroulée dans un contexte particulier et sous un thème unique, la corruption et l’impunité au sein du système public. Les partis politiques furent à la remorque des dénonciations de fraude rendues publiques par la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG)3 et par la Procureure générale du pays, suivies des arrestations conséquentes. Dans ce cadre, une mobilisation citoyenne sans précédent s’en est suivie et a perduré jusqu’à l ‘élection. Pour mieux comprendre, retraçons le déroulement des événements.
Le 16 avril 2015, Ivan Velasquez, commissaire de la CICIG et Thelma Aldana, la procureur général du Guatemala, s’adressent à la presse pour annoncer qu’ils ont débusqué un réseau de fraude au niveau des douanes portuaires du Guatemala qui implique la Superintendencia de Administracion Tributaria (SAT)4 et que 17 personnes sont mises en accusation, arrêtées ou recherchées en relation avec cette affaire dont Juan Carlos Monzon le secrétaire particulier de la vice-présidente Roxanna Baldetti. Monzon serait la tête dirigeante du réseau dénommé La Linea. Cette opération était le résultat d’un an d’investigation des deux entités mentionnées.
Le réseau avait la complicité de la SAT et des personnes au sein des douanes portuaires. En retour d’une exemption ou d’une réduction de taxes de douanes, les entreprises consentaient des pots de vin qui étaient par la suite redistribués dans La Linea. Les produits taxés étaient surtout du textile en provenance d’Asie.
Il n’en fallait pas plus pour qu’un « mouvement citoyen » s’organise autour des réseaux sociaux et prenne la rue pour demander la démission de la vice-présidente, Roxana Baldetti et, par la suite celle du président Otto Pérez Molina. Dès le 25 avril, une première manifestation d’importance est organisée.
Puis, le 5 mai, une mobilisation plus imposante bloque la majorité des grandes routes du pays et envahit la Plaza de la Constitution dans la capitale. Des pétitions sont déposées, des rencontres sont organisées avec le Congrès, etc. Elles avaient pour objectif immédiat la démission de la vice-présidente. Le lendemain, le 6 mai, le puissant Comité Coordinador de las Asociaciones Agricolas, Comerciales, Industriales y Financieras (CACIF) demande aussi la démission de la vice-présidente. Quelques jours plus tard, cette dernière démissionne. Elle est mise en accusation, puis emprisonnée en attente de procès.
Ce mouvement dont le slogan est « Renuncia Ya5 » ne décolèrera pas jusqu’aux élections du début septembre : à tous les samedis, des manifestant-e-s se regroupent dans le centre de la capitale et dans différentes villes du pays.
En juillet, la CICIG récidive avec la publication d’un rapport sur le financement illicite de la campagne électorale des partis politiques. Elle dénombre 6 formes de financement : les fonds publics (détournement de fonds), les fonds privés (en échange de services), les médias de communication, les entreprises de construction (en échange de faveurs futures), l’auto-financement par les riches impliqués dans les partis et enfin, l’argent des narcotrafiquants. Une motivation supplémentaire pour le mouvement « Renuncia ya » à accentuer les pressions afin d’exiger la fin de la corruption et la démission du président.
Entretemps, 4 candidats députés du parti Lider et son prétendant à la vice-présidence sont obligés de se retirer de la course étant parmi les accusés de fraude et de corruption envers l’État guatémaltèque.
En août, les pressions s’accentuent pour demander la démission du président Otto Pérez Molina. Amilcar Pop, député du Winaq, venait de subir un échec, devant le Congrès, avec une proposition visant à retirer l’immunité au président afin de le mettre en accusation pour sa participation à la Linea.
Puis, coup de tonnerre, la CICIG et le MP annoncent qu’ils ont la preuve irréfutable que le président Otto Pérez Molina, non seulement participe mais qu’il est la tête dirigeante de La Linea et qu’avec la vice-présidente Roxana Baldetti, ils se partagent 50 % des résultats de la fraude aux douanes, l’autre 50 % étant partagé entre les autres personnes impliquées. Ils étalent la preuve devant les médias.
Le candidat à la présidence du Partido Patriota de Otto Perez Molina démissione et plusieurs députés font de même. C’est la débandade au sein du parti.
Le 21 août, le CACIF se résoud à demander la démission du président Otto Perez Molina. Ce dernier refuse.
Pendant ce temps, la CICIG demande au Congrès de retirer l’immunité au Président afin de le mettre en accusation.
Le 26 août, El Periodico explique, dans ses pages, de façon détaillée, la structure de La Linea et la place occupée par le président et la vice-présidente.
Le 27 août, grande mobilisation de « Renuncia ya ». Même le CACIF6 demande à ses membres de faciliter les moyens pour que leurs employé-e-s aillent manifester afin d’exiger la démission du président Otto Pérez Molina. Plus de 100 000 personnes envahissent la Plaza de la Constitution.
Le 1 septembre, lors d’une conférence de presse de différents seteurs de la société dont l’Université San Carlos, la Procure pour les Droits Humains (PDH), la Chambre de Commerce et le Comité Unidad Campesina (CUC), s’allient pour demander la démission du président.
Pendant ce temps, le Congrès vote à l’unanimité des députés présents (132 voix contre 0) le retrait de l’immunité du président. Il est immédiatement arrêté et mis en accusation. Le juge refuse sa mise en liberté en attente de procès et il est alors incarcéré à la prison militaire Matamoros.
La tension baisse un peu et les élections peuvent se tenir malgré un fort mouvement demandant le report des élections et la revendication de modifier la « Loi électorale et des partis politiques ». Le 6 septembre, 72 % des électeurs inscrits se présentent aux urnes et font valoir leur complète désapprobation de cette culture de la corruption et de l’impunité.
On comprendra que ces événements ont éclipsé entièrement la compagne électorale et que l’élection s’est faite sur le thème exclusif de la lutte à la corruption et à l’impunité.
Depuis les élections, la Procureur générale a continué son travail et a accusé la juge Marta Sierra de Stalling, présidente de la Camara Penal de la Corte Suprema de Justicia d’avoir favorisé, le 16 avril, la libération d’accusés dans le cas de La Linea. Deux jours plus tard, elle était arrêtée et emprisonnée à la prison militaire Matamoros.
Ce même jour, la juge Jisela Reinoso de la Cour de Quiché est accusé d’enrichissement illicite, de blanchiment d’argent et de non accomplissement de ses devoirs alors qu’un autre juge est accusé d’avoir sollicité un pot-de-vin pour réduction de peine.
Du 1er janvier au 1er novembre 2015, 602 personnes de l’administration publique ont été mis en accusation pour fraude, corruption, blanchiment d’argent ou autres illégalités dans l’exercice de leur fonction. 10 d’entre ellles faisaient partie de l’exécutif, 5 du système judiciaire dont 2 juges, 11 députés du Congrès, 52 de l’Instituto Guatemalteco de Seguridad Social (IGSS), 25 de la SAT, 211 de la Policia Nacional Civil, 260 du Registro Nacional de Personas, 26 du Ministerio de la Justicia et 2 du municipal.7
C’est dans ce contexte de révolte que se sont déroulées les élections générales. Quelques commentateurs se sont permis de le qualifier de « nouveau printemps guatémaltèque » en référence aux événements qui avaient amené l’élection de José Arevalo en 1944 et qui avaient permis des changements très importants dans ce pays, alors sous le joug de la dictature.
III – LE SECOND TOUR POUR ÉLIRE LA PRÉSIDENCE
La campagne électorale pour élire la présidence et la vice-présidence aura nécessité un deuxième tour. Il opposait Jimmy Morales du FCN et Sandra Torres de l’UNE et s’est tenu le 25 octobre 2015.
Suite au contexte politique et à la mobilisation citoyenne exceptionnelle du mouvement Renuncia ya ! la campagne s’est disputée sans éclats. On dit que ce fut la campagne d’un deuxième tour qui a impliqué le moins de dépenses électorales. Jimmy Morales l’emporta haut la main sur Sandra Torres par un score de 67,44 % de votes contre 32,56 %. Le taux de vote fut de 56,32 %.
Tous les analystes s’entendent pour dire que le vote pour la présidence fut un vote « contre » les vieux partis, tous impliqués dans la corruption dénoncée vertement. Malgré sa complète inexpérience en politique, son absence de programme électoral et son peu de moyen financier, Jimmy Morales l’a emporté et sera le président de la République du Guatemala pour les 4 prochaines années. Son vice-président sera Jafeth Ernesto Cabrera Franco.
Il prendra les rênes du pouvoir le 14 janvier 2016.
IV – QUI EST JIMMY MORALES ? QUI EST LE FRENTE DE CONVERGENCIA NACIONAL ?
Jimmy Morales s’est fait connaître comme humoriste. Il a bien fait rire les Guatémaltèques pendant plusieurs années, il sait se conduire devant la caméra et les micros mais il n’a pas d’expérience en politique. Il est de confession évangélique. Il est anti gai, anti avortement, favorable à l’entreprise privée et préconise un état minimaliste.
Jimmy Morales s’est entouré de plusieurs militaires à la retraite dont un ancien chef militaire des opérations de la Zona Militar de Coban durant le conflit armé, d’un autre militaire qui fut un opposant acharné des Accords de Paix en 1996. Deux autres sont des députés de son parti alors que d’autres contribuent au financement du parti.
De son côté, Monolo E. Vela Castenada, professeur à l’Université Iberoamericana, Ciudad Mexico, dans un commentaire pour mettre en garde contre l’équipe de Jimmy Morales, conclut dans El Periodico du 18 août 2015 : « L’avenir du Guatemala n’est pas dans la candidature de Jimmy Morales. Dans sa candidature, il y a bien plus encore, il y a ce passé dégoûtant dans lequel des bureaucrates, des militaires et des politiciens corrompus ont amassé de grandes fortunes. Aujourd’hui même, ce sont eux qui sont près, très près du candidat. »
V – RÉALITÉ ET PERFORMANCE DES PARTIS À GAUCHE DE L’ÉCHIQUIER POLITIQUE
Comme mentionné précédemment, les partis politiques occupant la gauche du spectre politique au Guatemala sont au nombre de 4 : l’URNG-Maiz, le Winaq, la Convergencia et le Movimiento Nueva Republica (MNR). Ces partis sont tous nés après à la signature des Accords de Paix en 1996 et deux sont issus de l’ancienne URNG, celle qui a signé les Accords de Paix.
L’URNG-Maiz et la Convergencia se réclament du marxisme et prônent des changements révolutionnaires. Ils sont tous deux solidaires des gouvernements de gauche en Amérique latine tels que ceux d’Evo Morales en Bolivie, de Fidel Castro à Cuba et de Hugo Chavez au Vénézuela. Le Winaq, parti dont la tête d’affiche est Rigoberta Menchu, prix Nobel de la Paix en 1992, se proclame le seul parti des indigènes mayas tandis que le MNR, fondé en 2012 se présente comme la « nouvelle gauche » et propose des changements radicaux pour le Guatemala.
En 2011, les partis progressistes dont l’URNG-Maiz, le Winaq et l’ANN ont formé un Frente Amplio (Front commun) afin de présenter des candidats à la présidence (Rigoberta Menchu du Winaq) et à la vice-présidence (Anibal Garcia du MNR). Chacun retrouvait par la suite son autonomie pour la présentation de candidat-e-s au niveau des départements. Les résultats ne furent pas au rendez-vous et le front commun n’a pas résisté.
Lors de l’élection actuelle, l’URNG-Maiz et le Winaq ont eu tendance à faire des alliances et à présenter conjointement des candidats à la présidence et à la vice-présidence. Selon les circonstances, ils font de même pour la présentation de candidats comme députés au Congrès mais pas toujours.
La Convergencia CPO-CRD est issue de l’ANN qui s’était présentée aux 2 dernières élections mais n’avaient pas réussi à faire élire de candidats. En septembre 2014, le Consejo de los Pueblos del Occidente (regroupement des indigènes mayas de l’ouest du pays) et la Convergencia para una Revolucion Democratica (CRD) s’unissent et créent la Convergencia CPO-CRD dénommée la Convergencia. Ses dirigeants enclenchent un large processus démocratique à travers le pays visant à mettre de l’avant et à faire discuter des propositions devant servir à construire un programme électoral et à proposer des candidat-e-s pour l’élection en devenir.
La faction CRD de la Convergencia est un mouvement constitué de 9 organismes dont le plus important en terme de base militante est le Comité Campesino del Altiplano (CCDA) dont Leocadio Juracan en est le coordonnateur. Ce dernier s’est présenté aux élections et fut élu à partir de la « liste nationale ». Leocadio Juracan est un indigène8 de l’ethnie maya kak’chiquel de la région de Solola. Il est impliqué dans la défense des intérêts des paysans et des indigènes depuis le début des années 1990. En 2008, il a survécu à une tentative d’assassinat et a dû s’exiler au Canada avec sa famille.
Le tamdem Winaq/URNG a réussi à faire élire 3 députés de même que la Convergencia. Cette dernière a plutôt bien réussi en milieu urbain avec l’élection de deux députés dont Sandra Moran et Alvaro Velasquez dans l’agglomération urbaine de Guatemala La Ciudad.
Les résultats ont réservé une surprise en l’élection de Sandra Moran sous la bannière de la Convergencia puisqu’elle est une ex-membre de la guérilla de l’Ejercito Guerillero de los Pobres, qu’elle est féministe, lesbienne et artiste. À la question d’un journaliste à savoir si, dans une société conservatrice comme celle du Guatemala, elle serait acceptée comme députée, elle répond : « J’ai pensé que ceux qui remporteraient des sièges pour la Convergencia seraient les compagnons de l’Ouest (paysans et indigènes) et non ceux de la région de la capitale. Je crois que le fait que nous avons été élus (elle, Alvaro Velasquez et Leocadio Juracan), signifie que les gens recherchent de nouvelles voix, de nouvelles personnes pour les représenter ou des gens qui ne sont pas liés aux partis conservateurs et traditionnels. En ce sens, c’est un défi pour ce Congrès qui va être mis sous pression par les mouvements sociaux »… « Je fais partie du mouvement feministe et révolutionnaire et, comme tel, cela implique la décision de confronter les sociétés conservatrices conduites par une pensée patriarcale, capitaliste, raciste et je crois que je suis décidée à cela, parce que cacher qui nous sommes est très douleureux. Cela, je l’ai vécu incluant moi-même et ma famille ».9
La question de l’unité entre les différents courants de gauche a refait surface suite aux résultats de l’élection. Une extrapolation de ces derniers, faite par l’Asemblea Social y Popular, relève, que si les partis de gauche avaient présenté des candidats unifiés, ils auraient remportés 15 députés au Congrès au lieu de 6.
Il faut bien constater ici que le mouvement de révolte fut principalement urbain, mené par les étudiants universitaires, sans leaders bien identifiés et reconnus et alimenté par les dénonciations de la CICIG et de la Procureur générale.
VI – Positions du mouvement paysan et social face aux élections
Il existe 4 grandes organisations de paysans indigènes au Guatemala : le Comité Unidad Campesina (CUC), la Coordinadora Nacional de Organizaciones Campesinas (CNOC), le Comité Campesino del Altiplano (CCDA) et la Coordinadora Nacional Indigena y Campesina (CONIC).
Lors de l’élection, le CUC, le plus ancien et le plus important mouvement paysan a lancé le mot d’ordre d’abstention ou d’annulation, refusant de cautionner un parti en particulier. La CNOC, le Comité de Desarrollo Campesino (CODECA) et quelques autres forment pour ainsi dire la base militante du parti URNG-Maiz et ont donc travaillé en conséquence. Le CCDA est la principale base militante de la Convergencia et a travaillé à l’élection de ses candidat-e-s. 5 personnes militantes du CCDA se sont présentées à des postes de députés pour la Convergencia. La CONIC, de son côté, a appuyé le Partido Patriota d’Otto Perez Molina allant même jusqu’à organiser une manifestation en faveur du président en plein cœur des manifestations du mouvement Renuncia Ya qui demandait sa démission.
Du côté des organisations syndicales et populaires, le puissant Syndicat des Travailleurs de l’Éducation du Guatemala (SDEG), avec à sa tête, Joviel Acevedo, a appuyé lui aussi le président Perez Molina. De même, la Union de Acción Syndical y Popular (UASP) a appuyé le président malgré les accusations de corruption qui pesaient contre lui.
Selon F. Quezada, du Centre de recherches économiques nationales (CIEN), ces appuis viennent du fait que le gouvernement du Parti Patriota a octroyé des avantages particuliers à ces groupes. Au SDEG, il a consenti des augmentations salariales démesurées pour la capacité de payer de l’État soit 30 % d’augmentation sur 3 ans. À la CONIC, il a pris un engagement de 15 millions de quetzales (2,5 millions $) par année à travers le Ministère de l’agriculture, en plus d’effacer à 84 % la dette agraire de 2 616 familles de 32 communautés rurales. Selon Luis Linares, de l’Association de Recherche et Études sociales, « … ces consessions sont viciées parce qu’il y a un jeu de concessions : Si tu me donnes, je te donne; ce sont des faveurs qui se paient en appui politique. » « Les syndicats perdent leur indépendance devant les autorités … ».10
VII – MAINTENANT, COMMENT GOUVERNER À PARTIR DE CETTE RÉALITÉ ?
Le 14 janvier prochain, le gouvernement de Jimmy Morales du parti FCN prendra les rênes du pouvoir du Guatemala. Il annoncera la formation de son cabinet soit les ministres et les sous-ministres qui, avec les secrétariats d’État, formeront l’exécutif. 11
Si Jimmy Morales fut élu président du pays, il n’en est pas de même pour ses candidats dans les départements puisque, fait assez inusité pour un président élu, il n’a fait élire que 11 députés de son parti sur les 158 que compte le Congrès. On peut facilement imaginer que ce parti devra naviguer au gré des intérêts de chacun des partis pour obtenir des majorités suffisantes pour faire adopter ses lois.
Partis politiques | Nombre de siège |
---|---|
LIDER |
37 députés |
UNE | 28 |
Partido Patriota | 19 |
TODOS |
19 |
FCN-Nacion |
11 |
CREO |
7 |
UCN |
7 |
Autres partis (8)* |
30 |
* De ces 8 autres partis, 3 partis progressistes ont fait élire 6 députés qui siégeront au Congrès à partir du 14 janvier 2016. Les autres partis en liste n’ont pas fait élire de députés.
Actuellement, le Guatemala se trouve en état de décomposition sociale et politique avancée; plusieurs commentateurs de la scène politique affirment que le pays est sur le bord de l’« ingobernabilidad » donc de l’impossibilité à gouverner.
La population n’a plus confiance dans ses leaders politiques et les partis politiques sont en déconfiture : des 158 députés de l’ancienne législature (2011-2014) élus sous une bannière politique particulière, 120 ont changé de bannière et de nouveaux partis se sont formés.13 Le 17 décembre dernier, 22 députés du LIDER, le parti ayant obtenu le plus de députés au Congrès ont démissionné pour former le Movimiento Progresista. 14
Le système de santé est déstabilisée et ne réussit pas à assumer son rôle. En plus d’un budget complètement déficient pour répondre aux besoins élémentaires en santé, la CICIG et la Procureur général ont dévoilé une fraude importante des fonctionnaires de l‘Instituto Guatemalteco de Seguridad Social (IGSS), système parallèle de santé publique au Guatemala.
Les finances du pays sont incontrôlées et toutes les tentatives de réforme fiscale pour faire face à la situation ont échoué à ce jour. La CACIF et plusieurs partis politiques s’objectent à toutes augmentations d’impôt argumentant qu’il ne sert à rien d’augmenter les revenus de l’État alors que ces revenus sont dilapidés par la fraude et la corruption généralisées. Le dernier budget accepté en décembre prévoit une baisse des revenus du gouvernement alors qu’il est en manque complet pour remplir son mandat. Rongé par un endettement excessif, ce pays serait, selon certains, sur le bord de la faillite.
La violence des gangs de rue (extorsion) et de la mafia (drogue, etc.) continuent d’opérer dans l’impunité malgré les tentatives d’endiguer le fléau.
La corruption au niveau du gouvernement a atteint son comble avec le dévoilement par la CICIG et le Ministerio Publico (MP) de la fraude aux douanes qui a entraîné la démission et l’incarcération du président et de la vice-présidente. Et l’on sait que de janvier aux premiers jours de novembre 2015, 602 fonctionnaires et employés pubics ont été capturés et mis en accusation pour différents délits de corruption.
La CICIG et le MP font ouvertement appel à la mobilisation citoyenne pour les appuyer dans leurs luttes à la corruption et à l’impunité. Ils demandent des budgets et des effectifs supplémentaires pour remplir leur mandat.
Les organisations paysannes qui se sont renforcées ces dernières années continuent de réclamer la Loi sur le développement rural intégral à laquelle s’objectent de manière acharnée le CACIF et les éléments conservateurs de la société. Les paysans indigènes forment de très forts consensus contre l’exploitation des ressources naturelles (mines, barrages électriques, etc.) qui endommagent l’environnement et qui ne profitent qu’à une minorité, bien souvent étrangère au pays.
Le taux de pauvreté atteint 59,2 % de la population qui est aujourd’hui de 15,9 millions de personnes; c’est une augmentation de 2,9 % par rapport à 2000. Ainsi, 9,4 millions de guatémaltèques vivent sous le seuil de la pauvreté selon les résultats de l’Enquête nationale de conditions de vie (Encovi) réalisée en 2014. L’extrême pauvreté est passée de 15,7 % à 23,4 % dans cette même période. Dans les départements de l’Alta Verapaz et de Solola, le taux de pauvreté atteint 80 % de la population, suivi de Totonicapan avec 77,5 %.15
VIII – QUE PEUT-ON ESPÉRER DE CETTE CONJONCTURE AFIN DE FAIRE PROGRESSER LA JUSTICE SOCIALE ?
Sur le plan de la situation de la corruption et de l’impunité, le consensus semble très large pour affirmer que la situation vient de changer radicalement. Le message est clair : la tricherie ne sera plus tolérée, le système judiciaire ne sera plus de connivence avec les fraudeurs et va poursuivre en justice TOUTE personne qui décidera de s’enrichir de façon illicite aux dépens de l’État et la société civile sera aux aguets pour s’assurer que les reculs ne soient pas possibles.
Vont en ce sens, la procureur général du pays, Thelma Aldana : « Depuis plusieurs années, plusieurs décades, la corruption régnait en silence et faisait partie de notre culture; réellement, elle était enracinée. Ce qui s’est passé, c’est un changement abyssal, c’est une autre culture qui a commencé à se former. » et le commissaire de la CICIG, Iván Velasquez appuie tout en précisant que ce n’est qu’un départ : « Je crois que l’on peut dire que c’est le début d’une transformation dans le pays ,,, C’est effectivement la fin d’une époque de corruption… mais la construction de cette nouvelle étape a besoin qu’il y ait une participation collective et des ressources suffisantes pour faire face à la situation ».16
Il faut espérer que le mouvement citoyen qui s’est mobilisé d’avril à septembre 2015 pour dénoncer la corruption continuera d’être la principale opposition à un Congrès qui, à voir sa composition, sera conservateur et essentiellement néolibéral et qui fera tout pour que les plus riches maintiennent leurs privilèges. Par contre, rien n’indique que ce mouvement citoyen a autant à cœur la justice sociale, donc la diminution de la pauvreté que la fin de la corruption et de l’impunité. Il faut espérer la continuité de cette mobilisation citoyenne et l’union de toutes les forces progressistes de la société.
Il y a tout lieu de croire que le mouvement paysan devra continuer de se mobiliser afin de faire adopter des lois visant à réduire la pauvreté et à valoriser l’économie paysanne familiale puisque rien dans ce qui tenait lieu de programme politique du président élu ne mentionnait la réduction de la pauvreté, encore moins la possibilité de voter la Loi sur développement rural intégral. Et nous sommes en présence des mêmes partis qui n’ont pas vraiment de préoccupations à ce niveau et du même CACIF viscéralement opposée à toutes solutions en dehors des politiques néolibérales qui ont davantage tendance à créer les inégalités qu’à les réduire.
Il faut espérer que les partis politiques progressistes réussissent à faire front commun au Congrès pour présenter des projets de lois visant des changements structurels profonds permettant l‘inclusion sociale de la majorité de la population. À ce niveau, Alvaro Velasquez, député de la Convergencia est optimiste : « Nous sommes ouverts et disposés à faire front commun avec l’URNG-Maiz et Winaq. Mais nous devons élargir davantage ce front commun. Nous avons recensé 12 députés qui viennent du mouvement révolutionnaire et de la lutte sociale. Il s’agirait alors d’un front commun de partis qui défendent les intérêts des citoyens, j’entends par là, Encuentro por Guatemala au niveau de la corruption et de l’UNE sur les thèmes sociaux. »17
Enfin peut-on espérer comme la députée Sandra Moran de la Convergencia ? « Je crois que nous sommes à un moment des plus importants, le défi sera de soutenir ce changement (initié par le mouvement citoyen). Il y eut un tsunami politique mais il faut voir ce qu’il en restera; il s’est dégagé une énergie impressionnante. L’on sait que ce sont les changements culturels qui sont les plus importants et je crois qu’il y eut changement culturel. Alors le défi pour nous est de voir comment nous pouvons être un parti qui donne voix à l’intérieur (du Congrès) à celle de l’extérieur (la rue). Comment réussir à être ce lien permanent; c’est le grand défi. »18
Yves Nantel
Janvier 2015.
1 Source : Cambian fuerzas en el Legislativo de Jessica Gramajo, Prensa Libre, 24 septembre 2105. Il est difficile d’avoir le portrait exact car le Tribunal Suprême Électoral (TSE) du Guatemala n’a pas publié de tableau officiel des élus au Congrès sur son site internet.
2 Concernant le vote proportionnel, les électeurs avaient un bulletin de vote sur lequel n’apparaissaient que le logo et le nom de chaque parti ; ils devaient donc voter pour le parti. Cette méthode de représentation était appliquée à tous les niveaux d’élections soit le Congrès, les corporations municipales et le Parlement centre-américain.
3 La CICIG est une commission de l’ONU, donc complètement indépendante du gouvernement guatémaltèque, ayant pour mandat d’aider le gouvernement à combattre la corruption et à freiner l’impunité. Elle possède ses propres enquêteurs, ses propres avocats et toute une équipe de soutien. Losqu’elle débusque des fraudes, elle les communique au Procureur général qui, lui, entame les procédures judiciaires.
4 La Superintendencia de Administracion Tributaria (SAT) est l’organisme chargé de collecter et d’administrer les taxes et impôts au Guatemala.
5 On pourrait traduire « Renuncia ya » par «Démissionnez, tout de suite »
6 CACIF = Comité Coordinador de Asociaciones Agricolas, Comerciales, Industriales y Financieras. C’est le très puissant et très conservateur regroupement de tout le monde des affaires au Guatemala. D’ordinaire il est contre toutes les manifestations car les manifestations sont bien souvent organisées pour dénoncer les privilèges d’un de leurs secteurs.
7 Les arrestations pour corruption atteignent 602 – Glenda Sanchez, Prensa Libre, 30 novembre 2015.
8 À ma connaissance, il n’y a que 2 députés indigènes au Congrès : Amilcar Pop Oc, député du Winaq et Leocadio Juracan Salomé de la Convergencia.
9 « El lesbianismo es una posicion politica », entrevue avec Sandra Moran, El Periodico, 15 novembre 2015.
10 Apoyo ha costado más de Q3 mil millones, Byron Rolando Vásquez, 17 octobre 2015.
11 Note : Il faut rappeler ici que c’est la prérogative du président du Guatemala de nommer les ministres et que ces derniers ne sont pas des députés élus comme dans notre pays, ce sont, en principe, des personnes choisies au sein de la société civile pour leur compétence à assurer la charge des ministères en question.
12 SOY 502, septembre 2015.
13 Actual legislatura registra 120 diputados tránsfugas, El Periodio, 23 décembre 2015
14 Estampida en Lider : 22 diputados –actuales y electos- renuncian, El Periodico, 17 décembre 2015.
15 Guatemala tiene 9.4 millones de personas que viven en pobreza, El Periodico, 11 décembre 2015.
Voir aussi : Pobreza sube a 59.3 % : son 9.6 millones de guatemaltecos los afectados, Rosa Maria Bolaños, Prensa Libre, 10 décembre 2015.
16 « A Guatemala le han robado bastante », Glenda Sanchez, Premsa Libre, 28 décembre 2015.
17 Sandra Moran, una feminista en el Congreso, Plaza Publica, 17 septembre 2015.
18 Idem.